Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/303

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velle averse. Nous regagnâmes paisiblement l’izba. Le Biriouk laissa le cheval dans la cour après avoir fermé la barrière, puis il attacha les chiens, emmena son prisonnier dans l’izba, relâcha les liens de sa ceinture et le déposa dans un coin. La jeune fille endormie près du four s’éveilla en sursaut et nous regarda sans parler, avec effroi. Je m’assis sur le banc.

— Quelle averse ! fit le forestier. Je vous conseille d’attendre. Ne voulez-vous pas vous coucher un peu ?

— Merci.

— Je l’enfermerais bien dans le galetas pour débarrasser de sa vue Votre Grâce, dit-il en désignant le moujik, mais c’est que…

— Laisse-le ici, ne le touche pas.

Le moujik loucha vers moi. Je m’étais promis d’employer mes efforts à le délivrer. Il se tenait immobile. À la lueur de la lanterne, je voyais son visage hâve et rude, ses sourcils jaunes, pendants, son regard inquiet, ses membres frêles. La petite fille s’étendit sur le plancher contre les pieds de cet homme et se rendormit. Le Biriouk s’assit près de la table, la tête dans ses mains. Un grillon criait dans un coin… La pluie crépitait sur le toit et filtrait à travers le cadre de la fenêtre. Nous étions tous silencieux.