Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/44

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geant son arme, il évite de répandre son petit plomb par terre ou de le mêler avec sa poudre. Son fusil est à un coup, à silex et de plus… à recul ; et telle est la force du recul qu’à chaque coup la joue droite du pauvre homme est toujours un peu plus grosse que la gauche. Comment tire-t-il juste avec un pareil fusil, c’est ce que le plus malin ne peut comprendre, et cependant il ne manque jamais son coup.

Il avait un chien nommé Valetka, une étonnante créature ; Ermolaï ne lui donnait jamais rien à manger : « Moi, nourrir un chien ? disait-il, mais un chien est un animal intelligent, il peut trouver tout seul sa nourriture. »

Et en effet Valetka, tout en étonnant par son extrême maigreur, vivait, et vivait depuis bien des années, et ne disparaissait jamais assez longtemps pour qu’on s’inquiétât de lui et qu’on le soupçonnât de vouloir abandonner son maître. Une fois, dans sa jeunesse, entraîné par l’amour, il fit une absence de deux jours, mais sa passion ne dura pas plus longtemps. Le trait distinctif du caractère de Valetka était une complète insouciance des choses de ce monde ; s’il ne s’agissait pas d’un chien, j’aurais dit un complet désenchantement. Il se tenait habituellement couché, la queue ramenée sous lui ; il reniflait et