Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/45

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

frissonnait de temps en temps, mais il ne souriait jamais (on sait que les chiens sourient et même très agréablement). Il était extrêmement laid, et pas un domestique ne laissait passer l’occasion de s’égayer sur son fâcheux extérieur. Mais Valetka supportait ces sarcasmes avec une philosophie digne de plus d’égards. Il amusait beaucoup les cuisinières qui abandonnaient leur office en criant et en l’injuriant et s’élançaient à sa poursuite quand, cédant à une faiblesse qui n’est pas particulière aux chiens, il passait son museau d’affamé à travers l’entre-bâillement de la porte de la cuisine pour en aspirer les émanations affriolantes. À la chasse, il était réellement infatigable et avait le flair assez bon ; mais, si le hasard le faisait tomber sur un lièvre blessé, il ne manquait pas de le dévorer jusqu’au dernier petit os, n’importe où, pourvu qu’il fût à couvert et à une respectueuse distance d’Ermolaï, qui éclatait alors en injures formidables dans tous les dialectes connus et inconnus.

Ermolaï appartenait à un de mes voisins, gentilhomme du vieux style. Les pomiéstchiks faibles sur ce patron-là n’aiment pas les bécasses et s’en tiennent aux oiseaux de basse-cour. Ce n’est que dans les grandes occasions, anniversaires de famille, fêtes patronales, élec-