Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’avoine jaunissante coupée de quelques tiges d’absinthe, et là, pas un épi ne bougeait. Plus bas, je voyais un cheval de paysan plongé dans l’eau jusqu’aux genoux et se fouettant paresseusement de sa queue mouillée ; quelquefois, à vingt pas de nous, sous le panache d’un buisson penché sur la rivière, surnageait un grand poisson qui exhalait de l’air montant en globules à la surface, puis il se laissait couler au fond en laissant une petite houle. Le grillon grinçait dans l’herbe rousse ; la caille criait paresseusement ; les autours planaient sur les champs et souvent s’arrêtaient immobiles dans l’air au moyen d’une rapide agitation des ailes et de leur queue déployée en éventail. Nous étions alors sans mouvement, brisés sous le poids de la chaleur. Tout à coup, derrière nous, dans le ravin, nous entendîmes un bruit. Quelqu’un dévalait vers la source. Je regardai et vis là-haut un moujik de quelque cinquante ans, plein de poussière, en chemise tressée, en laptis, une hotte sur le dos.

Il s’accroupit vers la source, s’abreuva avec une grande rapidité et se redressa :

― Hé, Vlass ! lui cria Touman, qui le reconnut au premier coup d’œil ; bonjour, frère… D’où Dieu t’apporte ?