Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/88

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encore vu pareille beauté, une beauté, enfin ! Je me sentis pénétré de compassion. Elle avait une physionomie, des yeux !…

« Grâce au ciel, la voilà plus tranquille, elle a transpiré ; elle reprend peu à peu conscience d’elle-même, regarde, sourit, se passe la main sur la figure ; ses sœurs se penchent sur elle et lui demandent : « Qu’as-tu ? ― Rien. » Elle se tourne vers le mur, je l’observe ; la voilà assoupie : « Allons, dis-je, laissons-la reposer. »

« Et nous sortons doucement ; une domestique reste seule à la veiller. Dans le salon, je vis avec plaisir, sur la table, un samovar fumant et la bouteille de Jamaïque. Pardon, mais vous concevez, dans notre état, il faut cela. Après le thé, on me pria de passer la nuit et je consentis : où aller maintenant ? La vieille ne cessant de gémir. « Qu’avez-vous donc ? lui dis-je. Je vous affirme qu’elle vivra, ne vous inquiétez pas ; faites comme elle, dormez. Il est une heure passée. ― Vous me ferez réveiller s’il arrive quelque chose ? ― Mais oui ; mais oui. » La vieille dame sortit avec les jeunes filles. On me dresse un lit, je m’y couche, mais je ne puis dormir. Je ne sais ce que j’ai, quelque chose m’inquiète, la pensée de ma malade ne me quitte pas. Enfin, n’y tenant plus, je me lève,