Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/94

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fait tant plaisir à la mère qu’elle ne cesse de me remercier, les larmes aux yeux, et moi je pense : « Comme je mérite mal ta reconnaissance ! » Je l’avoue du reste (et pourquoi vous le cacherais-je maintenant), j’étais amoureux de ma malade. Alexandra s’était également attachée à moi. Elle ne laissait pénétrer personne dans la chambre que moi, et alors elle me questionnait, elle voulait savoir par le menu où j’avais fait mes études, quelle vie j’ai menée, mes habitudes, ma parenté, mes relations. Je sentais bien que j’aurais dû éviter ces entretiens, lui défendre de parler. Mais non, je n’avais pas la force de rien lui défendre. Parfois, je prenais ma tête entre mes deux mains et je me disais : « Que fais-tu, misérable ? » Elle me saisissait la main, me regardait longtemps, longtemps, puis se détournait en soupirant et me disait : « Que vous êtes bon ! » Ses mains étaient brûlantes, ses grands yeux languissants. « Oui, continuait-elle, vous êtes bon, vous êtes un excellent homme, vous ne ressemblez pas à vos voisins, vous êtes bien différent d’eux, vous. Pourquoi ne vous ai-je pas connu jusqu’ici. ― Alexandra Andréevna, lui répondais-je, calmez-vous, je ne sais comment j’ai mérité votre amitié ; mais calmez-vous et tout ira pour le mieux, la santé reviendra. »