Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/101

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son éternelle tristesse dans le regard, joignant les mains derrière le dos, redressant sa taille voûtée, répandant une odeur de pain de seigle et de vieille cotonnade, et n’entendant rien de ce qu’on disait, — près de lui se tenait le serviteur modèle, le valet de chambre décrépit de son grand-père.

Machourina, pendant le voyage, fuma silencieusement une cigarette. En approchant de la barrière, elle poussa tout à coup un gros soupir.

« Il me fait peine, ce pauvre Markelof… dit-elle, et son visage s’assombrit.

— Oui, répondit Néjdanof, il se donne beaucoup de mal pour rien ; ses affaires n’ont pas l’air de bien marcher.

— Oh ! ce n’est pas pour cela…

— Pourquoi donc ?

— Il est malheureux, il n’a pas de chance !… Où trouver un meilleur que lui ?… Et pourtant… Non, on n’en veut pas. »

Néjdanof la regarda.

« Est-ce que vous avez appris quelque chose ?

— Je n’ai rien appris… Mais chacun sent cela… par soi-même. Adieu, Alexis Dmitritch. »

Machourina descendit du tarantass, — et, une heure plus tard, Néjdanof entrait dans la cour de la maison Sipiaguine. Il ne se sentait pas bien. Cette nuit sans sommeil, et puis toutes ces discussions, tous ces discours…

Un charmant visage le regardait derrière une fenêtre et lui souriait amicalement… C’était Mme Sipiaguine qui accueillait son retour.

« Quels yeux elle a ! » pensa-t-il en lui-même.