Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/108

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sincèrement prié pour ce jeune homme, quoique le sentiment religieux eût toujours été très-faible chez elle, dès sa plus tendre enfance.

Donc, elle causait avec Néjdanof, cherchant par tous les moyens à le courber sous ses pieds. Elle se faisait accessible, elle se dévoilait pour ainsi dire devant lui ; et elle regardait avec une aimable curiosité, avec une tendresse quasi maternelle, comment ce joli garçon, ce radical intéressant et farouche, venait vers elle d’une allure maladroite et lente. Un jour, une heure, une minute après, tout cela aura disparu sans laisser de traces ; — mais en attendant elle éprouvait un plaisir mêlé d’envie de rire, d’un peu d’effroi et même de mélancolie. Oubliant quelle était la naissance de Néjdanof, et sachant combien des questions de ce genre font plaisir à ceux qui sont isolés dans la vie, elle l’interrogea sur ses premières années, sur sa famille… Mais les réponses brèves et embarrassées du jeune homme lui firent aussitôt deviner qu’elle avait fait fausse route, et, pour essayer de réparer sa faute, elle se livra un peu plus… Telle, sous la pénétrante chaleur de midi, en été, une rose ouverte écarte encore davantage ses pétales parfumés, que viendra resserrer et replier sur eux-mêmes la fraîcheur fortifiante de la nuit.

Elle ne parvint cependant pas à réparer complètement sa bévue. Touché au vif de sa blessure, Néjdanof ne pouvait se laisser aller comme auparavant. L’amertume qu’il portait toujours en lui, qu’il sentait toujours au fond de son être, vint se soulever de nouveau ; ses méfiances et ses rancunes démocratiques se réveillèrent.

« Ce n’est pas pour cela que je suis venu ici, » pensa-t-il.

Il se souvint des réflexions moqueuses de Pakline… et, profitant du premier temps d’arrêt de la conversation, il se leva, fit un bref salut et sortit « bêtement », comme il se le dit involontairement à lui-même.

Son trouble n’avait pas échappé à Mme Sipiaguine…