un commérage qu’elle répétait, car elle avait vu de ses propres yeux et entendu de ses propres oreilles.
Le visage de Markelof devint sombre comme la nuit… Mais il ne se prononça pas une seule parole ; il fit remettre le livre au messager, et, rencontrant Néjdanof qui descendait, il lui souhaita le bonjour comme à l’ordinaire ; il lui donna même le paquet de lettres de Kisliakof qu’il lui avait promis ; mais il ne resta pas avec lui, et sortit « pour surveiller les travaux ».
Néjdanof retourna dans sa chambre, et parcourut les lettres : le jeune propagandiste y parlait constamment de lui, de son activité fébrile : selon ses propres expressions, il avait roulé, pendant le dernier mois, sur les routes de onze districts, visité neuf villes, vingt-neuf villages, cinquante-trois hameaux, une métairie et huit fabriques ; il avait passé seize nuits dans des greniers à foin, une dans une écurie, et même une dans une étable à vaches (ici il ajoutait entre parenthèses, avec un nota bene, que les puces ne mordaient pas sur sa peau) ; il s’était faufilé dans les cabanes des ouvriers, dans les baraques des terrassiers au chemin de fer ; partout il avait instruit, endoctriné, partout il avait distribué des brochures et recueilli au vol des renseignements, rédigeant les uns sur place, et retenant les autres dans sa mémoire par les procédés les plus perfectionnés de la mnémonique moderne ; il avait écrit quatorze longues lettres, vingt-huit petites, dix-huit billets (dont quatre au crayon, un avec du sang, un avec de la suie délayée dans de l’eau) ; et s’il avait eu la possibilité de faire tant de choses, c’est parce qu’il savait distribuer systématiquement son temps, selon les préceptes de Quentin Johnson, de Sverlitsky, de Carélius et autres statisticiens et publicistes.
Puis il recommençait à parler de lui, de son étoile, de la façon dont il avait complété la théorie de l’attraction passionnelle de Fourier ; il était le premier, disait-il, qui eût trouvé le véritable « sol », et « il ne passerait