Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/180

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ce que c’était que Snandoulie ? C’était une femme bienfaisante, qui allait dans les prisons, qui pansait les plaies des prisonniers, qui soignait les malades. —Mais bonsoir ! bonsoir, Néjdanof, homme digne de pitié ! Et toi, officier… hou ! loup-garou ! bonsoir ! »

Il s’en alla tout doucement, clopinant et titubant, vers l’oasis.

Markelof et Néjdanof se dirigèrent vers l’auberge où ils avaient laissé leur tarantass, firent atteler, et, une demi-heure plus tard, ils roulaient sur le grand chemin.


XXI


Le ciel se couvrait de nuages bas ; il ne faisait pas complètement sombre, et les traces des roues sur le chemin blanchissaient vaguement en avant de l’équipage ; mais, à droite et à gauche, tout s’enveloppait de brume, et les formes des objets isolés se fondaient en de grandes taches confuses. C’était une nuit terne, incertaine ; le vent soufflait par petites bouffées humides, apportant l’odeur de la pluie et des vastes plaines couvertes de blé. Quand l’équipage eut dépassé un buisson de chênes qui servait de repère, et qu’il fallut prendre la traverse, le voyage devint encore moins commode, car l’étroit sentier, par intervalles, disparaissait complètement… Le cocher modéra l’allure de ses chevaux.

« Pourvu que nous ne nous perdions pas ! dit Néjdanof, qui était resté silencieux jusqu’à ce moment-là.

— Non, soyez tranquille, répondit Markelof : —il n’arrive jamais deux malheurs en un jour.

— Et quel est donc le premier ?

— Le premier ?… Et la journée que nous venons de perdre, pour quoi la comptez-vous ?