Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/190

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et, sur la ligne plate de l’horizon nu, on voit marcher quelque chose qui ressemble à de gros insectes noirs… ce sont les chevaux des paysans qui donnent un second labour à leurs jachères.

Mais Néjdanof passa devant tout cela sans le voir ; il ne s’aperçut même pas qu’il était revenu au domaine des Sipiaguine, tant il était absorbé dans ses pensées…

Pourtant il tressaillit quand il aperçut le toit de la maison, l’étage supérieur, la fenêtre de la chambre de Marianne. « Oui, se dit-il, et il sentit une bonne chaleur au cœur : il a raison, elle est une brave fille, et je l’aime. »


XXII


Il alla bien vite changer de costume, puis descendit pour donner sa leçon à Kolia. Sipiaguine, qu’il rencontra dans la salle à manger, lui fit un salut froid et poli, demanda du bout des lèvres s’il avait fait un bon voyage et passa dans son cabinet. L’homme d’État avait déjà décidé dans son esprit de ministre que, dès la fin des vacances, il renverrait à Pétersbourg ce professeur « positivement trop rouge », et qu’en attendant il le surveillerait. « Je n’ai pas eu la main heureuse cette fois-ci, se disait-il à lui-même ; mais, après tout, j’aurais pu tomber pire[1] »

Les sentiments de Mme Sipiaguine envers Néjdanof étaient beaucoup plus accentués et plus énergiques. Elle ne pouvait pas le souffrir !… Ce gamin ne l’avait-il pas offensée ?

Marianne ne s’était pas trompée en pensant que c’était Mme 

  1. En français dans l’original.