Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/193

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Le bruit et le mouvement restaient les mêmes ; mais il s’y était ajouté comme un air de joie et de fête. C’est avec la même violence joyeuse que la passion pénètre dans un cœur assombri et agité… Et c’était un cœur comme celui-là que Néjdanof apportait dans sa poitrine.

Il s’appuya debout contre le tronc d’un bouleau et attendit. Il ne savait pas au juste ce qu’il éprouvait et il ne désirait pas le savoir ; il se sentait à la fois plus inquiet et plus à l’aise que chez Markelof. Avant tout, il voulait la voir, lui parler ; ce lien qui lie ensemble, tout d’un coup, deux êtres vivants, l’avait déjà saisi. Néjdanof pensa à l’amarre qu’on lance du bateau au rivage, quand un vapeur s’apprête à aborder… La voilà enroulée autour du poteau, et le bateau s’arrête… Il est arrivé au port ! Dieu soit loué !

Tout à coup il tressaillit. Un vêtement de femme apparaissait au loin dans le sentier. C’était elle. Mais marchait-elle vers lui, s’éloignait-elle de lui ? Il douta d’abord, puis il remarqua que les taches de lumière et d’ombre couraient de « bas en haut » sur son vêtement, donc elle s’approchait. Les taches auraient glissé de « haut en bas » si elle s’était éloignée. Quelques instants encore, elle était près de lui, devant lui, avec son visage animé et amical, un éclat caressant dans les yeux, un sourire faible mais gai sur les lèvres. Il saisit ses mains qu’elle lui tendait, la voix lui manqua ; elle non plus ne disait rien. Sa marche très-rapide l’avait essoufflée, mais on voyait qu’elle se sentait heureuse de ce que lui était heureux de la voir.

Ce fut elle qui parla la première.

« Eh bien, dit-elle, parle vite, qu’y a-t-il de décidé ? »

Néjdanof parut surpris.

« Décidé ?… Mais nous n’avons rien à décider tout de suite.

— Oh ! tu me comprends bien. Raconte-moi ce dont vous avez parlé. Qui as-tu vu ? As-tu fait connaissance avec Solomine ? Raconte-moi tout… tout ! Mais attends,