Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/194

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allons d’abord par là. Je connais un endroit… Nous serons moins en vue. »

Elle l’entraîna, et il la suivit docilement à travers l’herbe haute, rare et sèche.

Elle le conduisit jusqu’à un endroit où gisait un grand bouleau abattu par quelque orage. Ils s’assirent sur le tronc.

« Raconte ! » répéta-t-elle.

Mais elle ajouta aussitôt :

« Ah ! que je suis contente de te voir ! Il me semblait que ces deux jours ne finiraient jamais. Tu sais, à présent je suis certaine que Mme Sipiaguine nous a entendus.

— Elle en a écrit à Markelof, dit Néjdanof.

— À lui ? »

Marianne se tut, et peu à peu son visage devint rouge, non de honte, mais d’un autre sentiment plus fort.

« La méchante, la vilaine femme ! murmura-t-elle lentement ; elle n’avait pas le droit de faire cela. Mais bah ! qu’importe ? Raconte, raconte-moi. »

Néjdanof commença son récit. Elle l’écoutait, silencieuse, comme pétrifiée d’attention, et ne l’interrompait que quand elle le voyait se hâter et glisser sur les détails. Du reste, tous les incidents de son voyage n’avaient pas le même intérêt pour elle ; Fomouchka et Fimouchka la faisaient rire, mais ne l’intéressaient pas. Leur manière de vivre était trop éloignée de ses idées.

« C’est comme si tu me parlais de Nabuchodonosor, ce que tu me racontes-là, » lui dit-elle.

Mais ce que disait Markelof, ce que pensait Golouchkine lui-même (bien qu’elle eût compris au premier mot quel oiseau c’était), et surtout les opinions de Solomine, et quel homme il était, voilà les choses qu’elle voulait savoir, voilà ce dont elle s’inquiétait.

« Quand donc agirez-vous ? »

Quand ? était la question qui lui traversait constamment la tête et qu’elle avait sur les lèvres pendant que