Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/202

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lui envoyait un équipage. Dans le cas, cependant, où M. Solomine serait dans l’impossibilité de s’absenter ce jour-là, il le priait de vouloir bien lui indiquer un autre jour quelconque, à sa convenance, et alors, lui Sipiaguine, mettrait avec empressement son équipage à la disposition de M. Solomine. Puis venaient les formules d’usage, suivies d’un élégant paraphe tout à fait digne d’un ministre, et absolument incompréhensible, cela va sans dire, pour tout autre qu’un initié.

La lettre était terminée par un post-scriptum, à la première personne, cette fois : « J’espère que vous ne refuserez pas de venir dîner sans cérémonie, en redingote. » Les mots « sans cérémonie » était soulignés.

En même temps que cette lettre, le laquais gris-sable, non sans quelque hésitation, présenta à Solomine un simple billet, pas même cacheté. Ce billet, écrit par Néjdanof, ne contenait que quelques mots :

« Venez, je vous en prie ; on a grand besoin de vous ici, et vous pouvez rendre un grand service, mais non pas à M. Sipiaguine, cela va sans dire. »

En lisant la lettre de Sipiaguine, Solomine se dit : Parbleu ! je serais bien en peine d’aller autrement que sans cérémonie ; je n’ai jamais eu de frac, moi ! Et pourquoi diable me ferai-je traîner là-bas ? Pour perdre du temps, rien de plus. » Mais quand il eut ouvert le billet de Néjdanof, il se gratta la nuque, et, tout irrésolu, s’approcha de la fenêtre.

« Quelle réponse monsieur daignera-t-il donner ? » lui demanda respectueusement le laquais gris-sable.

Solomine resta encore un moment à la fenêtre, puis enfin, secouant ses cheveux et passant la main sur son front, il répondit :

« Je pars. Donnez-moi le temps de changer de costume. »

Le laquais sortit d’un air digne ; Solomine fit appeler Paul, causa avec lui, et courut encore une fois à la fabrique. Ayant revêtu une redingote noire à taille trop longue,