Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/233

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clairement. De quoi, au juste, êtes-vous mécontente ? »

« L’insolente ! » pensa Valentine, mais elle se contint.

« Vous désirez savoir de quoi je suis mécontente, soit ! Je suis mécontente de vos entrevues prolongées avec un jeune homme qui, par sa naissance, par son éducation et par sa position sociale, se trouve être trop inférieur à vous. Je suis mécontente… —non, ce mot-là n’est pas assez fort, — je suis révoltée de vos visites à une heure indue… de vos visites nocturnes chez ce jeune homme ! Et où cela se passe-t-il ? sous mon toit ! Vous trouvez peut-être que cela est convenable, que je dois me taire et protéger en quelque sorte votre légèreté ? Comme honnête femme… oui, mademoiselle, je l’ai été, je le suis et le serai toujours ! —Comme honnête femme, il m’est impossible de ne pas éprouver de l’indignation ! »

Valentine se laissa tomber dans un fauteuil, comme écrasée sous le poids même de cette indignation.

Marianne sourit pour la première fois.

« Je ne doute pas de votre honnêteté, passée, présente et future ; je le dis en toute sincérité. Mais vous vous indignez mal à propos. Je n’ai apporté aucune honte sous votre toit. Le jeune homme auquel vous faites allusion, oui, en effet… je l’aime…

— Vous aimez m’sieu Néjdanof ?

— Je l’aime. »

Valentine se redressa sur son fauteuil.

« Mais, voyons, Marianne ! c’est un étudiant, sans naissance, sans famille ; il est plus jeune que vous ! (Valentine n’eut pas de déplaisir à prononcer ces derniers mots.) Que peut-il sortir de tout cela ? Vous qui êtes intelligente, qu’est-ce que vous avez donc pu trouver en lui ? C’est un blanc-bec insignifiant !

— Vous n’avez pas toujours été de cet avis.

— Oh ! mon Dieu ! ma chère, ne vous occupez pas de moi ! Pas tant d’esprit que ça, je vous prie. Il s’agit de