Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/245

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jardin… et, sans qu’il sût pourquoi, ses yeux choisirent un vieux pommier tout rabougri pour s’y fixer avec attention.

Il se secoua, s’étira, ouvrit son sac de voyage, et, sans y rien prendre, se mit à rêver.

Au bout d’un quart d’heure, Marianne reparut, gaie, rapide, animée, le teint ravivé par l’eau fraîche ; et, quelques instants après, Tatiana, la femme de Paul, apportait le samovar, le service à thé, des petits pains blancs et de la crème.

Tatiana faisait un parfait contraste avec la figure de son bohémien de mari ; c’était une véritable femme russe, solidement bâtie, blonde, blanche, nu-tête, avec une large tresse fortement assujettie autour d’un peigne en corne, des traits un peu gros, mais agréables, et des yeux gris, bons et francs. Elle était vêtue d’une robe d’indienne, fanée mais en bon état ; ses mains, un peu grandes, étaient propres et belles.

Elle s’inclina tranquillement, dit d’une voix ferme et claire, sans accent traînant : « Je vous souhaite le bonjour, » et se mit en devoir de disposer le samovar, les tasses et le reste.

Marianne s’approcha d’elle.

« Laissez-moi vous aider, Tatiana. Si vous me donnez une serviette…

— Ça n’est rien, mademoiselle ; cette besogne nous connaît. Vassili Fédotytch m’a parlé. Si vous désirez quelque chose, daignez donner un ordre, nous ferons ce qu’il faut.

— Tatiana, ne m’appelez pas mademoiselle, je vous prie… Je suis habillée comme les seigneurs, mais je… je suis tout à fait… »

Marianne, troublée par le regard persistant de Tatiana, s’interrompit.

« Qu’est-ce que vous êtes alors ? lui demanda Tatiana avec son ton tranquille.

— Si vous voulez… en effet… je suis une noble ; mais