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Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/246

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je veux mettre tout cela de côté et devenir une… femme du peuple.

— Ah ! oui ; je comprends à présent. Alors, vous êtes de ceux qui veulent se simplifier. Il y en a beaucoup dans ce temps-ci.

— Comment avez-vous dit, Tatiana ?… Se simplifier ?

— Oui… c’est une manière de dire que nous avons à présent : vivre tout à fait comme le peuple. Se simplifier, quoi ! C’est de la bonne besogne, enseigner au peuple à raisonner. Mais ça n’est pas commode, oh ! non ! Dieu vous donne de la chance !

— Se simplifier ! répéta Marianne. Entends-tu, Alexis ? en ce moment nous sommes des simplifiés ! »

Néjdanof se mit à rire et répéta aussi :

« Simplifiés !

— Et qu’est-ce qu’il est, celui-ci, eh ? un petit mari, un frère ? demanda Tatiana à la jeune fille tout en rinçant soigneusement les tasses avec ses grandes mains adroites et en considérant avec un sourire mi-railleur mi-caressant, tantôt Néjdanof, tantôt Marianne.

— Non, répondit Marianne, il n’est ni mon mari ni mon frère. »

Tatiana releva la tête.

« Alors, vous vivez comme ça, en « libre grâce » ? Ça aussi, à présent, ça se voit souvent. Dans les temps d’autrefois, ça arrivait plutôt chez les vieux croyants, les rascolniks ; mais, au jour d’aujourd’hui, il y en a d’autres qui font de même. Pourvu que Dieu donne sa bénédiction et qu’on vive en contentement et confiance ! Il n’y a pas besoin de prêtre pour ça. Il s’en trouve aussi dans notre fabrique de ces gens-là, et pas des pires !

— Comme vous avez de jolies expressions, Tatiana ! « En libre grâce ! » Cela me plaît beaucoup. À propos, Tatiana, j’ai quelque chose à vous demander. Je voudrais me coudre ou m’acheter une robe, tenez, comme la vôtre, ou encore plus simple ; et des souliers, des bas, un fichu, tout comme vous. J’ai l’argent qu’il faut.