Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/268

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l’heure du dîner, elle retourna dans sa chambre… Elle n’eut pas à attendre longtemps Néjdanof.

Il rentra, fatigué, couvert de poussière, et se laissa tomber sur le divan. Elle s’assit aussitôt à côté de lui.

« Eh bien ? eh bien ? raconte ! »

Il lui répondit d’une voix faible :

« Te rappelles-tu ces deux vers :


Tout cela serait bien risible,

Si ce n’était pas si triste…


« Tu te rappelles, n’est-ce pas ?

— Certainement.

— Eh bien, ces deux vers s’appliquent parfaitement à ma première sortie. Mais non ! décidément, elle est plutôt risible. D’abord, j’ai acquis la conviction que rien n’est plus facile que de jouer un rôle : personne n’a même songé à me soupçonner. —Mais une chose à laquelle je n’avais pas pensé, c’est qu’il faut combiner d’avance quelque histoire, sans quoi les gens vous demandent : D’où venez-vous ? pourquoi faire ? et vous n’avez rien de prêt. Après tout, cela non plus n’est pas nécessaire. Il suffit d’inviter son homme à prendre un petit verre d’eau-de-vie, —et de lui raconter une bourde quelconque.

— Et… tu en as raconté ? lui demanda Marianne.

— Oui… comme j’ai pu. De plus, tous les individus, sans aucune exception, avec qui j’ai causé, sont mécontents ; et pas un n’a même envie de savoir comment remédier à ce mécontentement ! Mais comme propagandiste, je ne suis décidément pas fort : j’ai laissé, sans rien dire, deux brochures dans deux isbas, j’en ai glissé une dans une télègue… ce qu’elles deviendront, toi seul le sais, ô mon Dieu ! J’ai proposé des brochures à quatre individus. L’un m’a demandé si ma brochure était un livre de piété, et il ne l’a pas prise ; le second m’a déclaré qu’il ne savait pas lire, et il l’a prise pour ses enfants, à cause de l’image qui est sur la couverture ; le