Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/300

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pendant que j’étais en voiture pour venir ici. Je me hâte d’ajouter que j’ai renvoyé mon cocher alors que j’étais encore à une verste de la fabrique.

— Voyons votre idée, dit Solomine.

— La voici… Vous me donnez immédiatement des chevaux… et je vole chez les Sipiaguine.

— Chez les Sipiaguine ! répéta Marianne. Pourquoi faire ?

— Vous allez voir.

— Mais vous les connaissez donc ?

— Pas le moins du monde ! Mais écoutez. Réfléchissez bien à mon idée. Elle me semble tout bonnement une inspiration de génie. Markelof est le beau-frère de Sipiaguine, le frère de sa femme, n’est-ce pas ? Eh bien, vous figurez-vous que ce monsieur-là ne fera rien pour le sauver ? Et Néjdanof lui-même… Admettons que Sipiaguine soit en colère contre lui. Mais ça n’empêche pas que Néjdanof soit devenu son parent, en se mariant avec vous. Et le danger qui menace notre ami…

— Je ne suis pas mariée, » lui dit Marianne.

Pakline tressaillit de surprise.

« Comment ! depuis le temps, vous n’avez pas encore… ?

« Bah ! ajouta-t-il, on peut bien mentir un peu. En tout cas, vous vous marierez ! Mais là, sérieusement, on ne peut rien trouver de mieux que mon idée. Remarquez que jusqu’à présent Sipiaguine ne vous a pas fait rechercher. Cela prouve qu’il y a en lui une certaine… générosité. Je vois que ce mot vous déplaît, mettons : ostentation de générosité. Pourquoi donc ne pas en profiter dans le cas actuel ? Dites. »

Marianne releva la tête et passa la main dans ses cheveux.

« Vous pouvez profiter de tout ce qu’il vous plaira pour Markelof, monsieur Pakline, ou pour vous-même ; mais ni Alexis ni moi n’admettons l’intervention ou la protection de M. Sipiaguine. Nous n’avons pas fui de sa