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Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/318

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— Oui, Votre Excellence ; dans un grand établissement… »

Pakline se mordit la langue.

« Tiens, tiens, tiens, tiens !… chez Solomine ! c’est ça ! Du reste, je le savais ; on m’en avait parlé ; oui, oui, on me l’avait dit !… Oui ! (Sipiaguine l’ignorait absolument, et personne ne lui en avait soufflé mot ; mais comme il se rappelait la visite de Solomine, leurs entrevues nocturnes, il lança cet hameçon… Et Pakline y mordit d’emblée.)

« Puisque vous le savez… » commença-t-il, après quoi il s’arrêta et se mordit de nouveau la langue, mais trop tard… Un simple coup d’œil que lui jeta Sipiaguine lui fit comprendre que, pendant toute cette conversation, Sipiaguine avait joué avec lui comme le chat avec la souris.

« Du reste, Votre Excellence… balbutia le pauvre diable, je dois vous dire qu’à proprement parler, je ne sais rien du tout…

— Mais je ne vous demande rien ! Comment donc ! Que signifie ? Pour qui nous prenez-vous tous deux ? » s’écria d’un air hautain Sipiaguine, qui rentra brusquement dans toute sa morgue ministérielle.

Et Pakline se sentit de nouveau tout humble, tout chétif, attrapé, muselé… Jusque-là, il avait fumé en tenant son cigare dans le coin de sa bouche opposé à Sipiaguine, et il en rejetait la fumée tout doucement, à la dérobée ; à partir de ce moment-là, il le retira tout à fait de ses lèvres, et cessa complètement de fumer.

« Mon Dieu ! — s’écria-t-il intérieurement, tandis qu’une sueur tiède coulait plus abondante sur ses membres, — qu’est-ce que j’ai fait ! j’ai livré tout… et tous !… On m’a mystifié, on m’a acheté au prix d’un bon cigare !… Je suis un dénonciateur ! Et comment remédier au mal, à présent ? Seigneur Dieu ! »

Il n’était plus temps de remédier au mal. Sipiaguine s’endormit d’un air digne et grave, comme un vrai mi-