Aller au contenu

Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/319

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

nistre, enveloppé dans son manteau des grands jours… Du reste, un quart d’heure après, les deux équipages s’arrêtaient devant la maison du gouverneur.


XXXV


Le gouverneur de S… était de la race de ces bonnes âmes de généraux insouciants et mondains, qui ont la peau blanche, très-soignée et très-propre, et l’âme presque aussi propre que le corps ; qui, bien nés, bien élevés, bien pétris comme du bon pain de froment, n’ayant jamais pensé à devenir « pasteurs d’hommes », se trouvent être des administrateurs fort passables ; qui, travaillant peu, soupirant constamment après Pétersbourg, et faisant la cour aux jolies dames de province, sont d’une incontestable utilité pour leur gouvernement et laissent après eux un souvenir très-convenable.

Il venait de sauter du lit ; vêtu d’une robe de chambre en soie, avec sa chemise de nuit déboutonnée, il se tenait assis devant son miroir de toilette et lavait, avec de l’eau de Cologne étendue d’eau, son visage et son cou, — dont il avait préalablement ôté toute une collection d’images et de scapulaires, — lorsqu’on vint lui annoncer que messieurs Sipiaguine et Kalloméïtsef se présentaient chez lui pour une affaire grave et urgente.

Il connaissait intimement Sipiaguine ; il était avec lui à tu et à toi depuis sa tendre enfance ; il le rencontrait constamment dans les salons de Pétersbourg, et, depuis quelque temps, toutes les fois que ce nom de Sipiaguine lui venait en tête, il y ajoutait invariablement un Ah ! respectueux, comme à celui d’un futur dignitaire.

Il connaissait un peu moins et estimait beaucoup moins Kalloméïtsef, à propos duquel il recevait, depuis un certain temps, des plaintes d’une espèce désagréable,