Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/327

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Le gouverneur regarda longuement Sipiaguine, pensa avec admiration : « Quel homme ! » et donna un ordre. Une minute après, le serviteur de Dieu[1], Sila Pakline, apparaissait en sa présence.

Sila Pakline allait s’incliner très-bas devant le gouverneur ; mais, en apercevant Markelof, il n’acheva pas son salut et resta à demi courbé, en tortillant sa casquette dans ses mains.

Markelof jeta sur lui un regard distrait et ne le reconnut probablement pas, car il se replongea dans ses pensées.

« C’est ça… le rameau ? demanda le gouverneur en allongeant vers Pakline son doigt fin et blanc, orné d’une turquoise.

— Oh non ! répondit Sipiaguine en riant un peu. Pourtant… ajouta-t-il après réflexion. Votre Excellence, reprit-il à haute voix, vous avez devant vous un certain M. Pakline. Autant que je puis le savoir, il habite Pétersbourg, et il est l’ami intime d’un certain personnage qui a rempli chez moi l’office de professeur, et qui s’est enfui de ma maison en emmenant avec lui, —je le redis avec la rougeur au front, — une jeune fille, ma parente.

— Ah ! oui, oui, marmotta le gouverneur en hochant la tête. J’ai entendu parler de cela chez la comtesse… »

Sipiaguine éleva la voix. « Le personnage dont je viens de parler est un certain M. Néjdanof, fortement soupçonné par moi d’idées et de théories perverses…

— « Un rouge à tous crins ! » ajouta Kalloméïtsef.

— … D’idées et de théories perverses, répéta Sipiaguine encore plus nettement ; il est certainement mêlé à toute cette propagande, et il se trouve… il se cache, m’a dit M. Pakline, dans la fabrique du marchand Faléïef. »

  1. Phrase officielle, consacrée dans des cas pareils.