Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/328

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Aux mots « m’a dit M. Pakline », Markelof jeta un nouveau regard sur Pakline, et se borna à sourire lentement, avec indifférence.

« Permettez, permettez ; Votre Excellence, s’écria Pakline, et vous aussi, monsieur Sipiaguine, je n’ai jamais… jamais…

— Tu dis : chez le marchand Faléïef, demanda le gouverneur à Sipiaguine en agitant légèrement sa main étendue dans la direction de Pakline comme pour lui dire : « Doucement, mon garçon, doucement ; tu parleras après ! » —Qu’est-ce donc qui leur prend, à nos commerçants, à ces vénérables barbus ? Hier encore on en a arrêté un pour la même affaire. Tu connais peut-être son nom : Golouchkine, un richard. Oh ! ce n’est pas celui-là qui fera une révolution. Depuis hier il n’a cessé de se traîner par terre, à genoux !

— Le marchand Faléïef n’est pour rien là-dedans, dit Sipiaguine ; j’ignore absolument quelles sont ses opinions ; je voulais seulement parler de sa fabrique, où, d’après le dire de M. Pakline, se trouve en ce moment M. Néjdanof.

— Je n’ai pas dit ça ! hurla de nouveau Pakline ; c’est vous qui l’avez dit !

— Permettez, M. Pakline, répliqua Sipiaguine avec la même impitoyable netteté d’intonation, je respecte le sentiment d’amitié qui vous inspire ces dénégations. (Oh ! du Guizot tout pur, pensa le gouverneur.) Mais je prendrai la liberté de vous citer mon exemple. Pensez-vous que le sentiment de la parenté ne soit pas aussi fort chez moi que chez vous celui de l’amitié ? Mais il y a un autre sentiment, mon cher monsieur, qui est encore plus fort, et qui doit guider toutes nos actions : le sentiment du devoir !

— « Le sentiment du devoir, » traduisit Kalloméïtsef en français.

Markelof enveloppa d’un regard les deux orateurs.

« Monsieur le gouverneur, dit-il, je répète ma demande :