Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/329

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ordonnez, je vous prie, qu’on m’emmène hors de la présence de ces deux bavards. »

Mais ici, le gouverneur perdit un peu patience.

« Monsieur Markelof, s’écria-t-il, je vous conseillerais, dans votre position, de tenir un peu mieux votre langue et de respecter davantage vos supérieurs, surtout quand ils expriment des sentiments patriotiques comme ceux que vous venez d’entendre sortir de la bouche de votre beau-frère. —Je me ferai une joie, mon cher Boris, ajouta le gouverneur en s’adressant à Sipiaguine, de porter ta noble conduite à la connaissance du ministre. Mais chez qui se trouve-t-il au juste, ce M. Néjdanof, dans cette fabrique ?

Sipiaguine fronça le sourcil.

« Chez un certain M. Solomine, mécanicien en chef de la fabrique, à ce que m’a dit encore M. Pakline. »

Sipiaguine semblait éprouver une jouissance particulière à tourmenter le pauvre Sila : il se vengeait ainsi, et du cigare qu’il lui avait offert en voiture, et de la politesse familière, intime, presque enjouée, qu’il lui avait témoignée.

« Et ce Solomine, ajouta Kalloméïtsef, est un radical et un républicain avéré, et Votre Excellence ne ferait pas mal de tourner aussi son attention sur lui.

— Vous connaissez ces messieurs, Solomine, et, comment donc ? et… Néjdanof ? » demanda le gouverneur à Markelof d’un ton quelque peu officiel, en nasillant.

Markelof, les narines largement gonflées par une joie haineuse, lui répondit :

« Et vous, Excellence, vous connaissez Confucius et Tite-Live ? »

Le gouverneur lui tourna le dos.

« Il n’y a pas moyen de causer avec cet homme, dit-il en haussant les épaules. Monsieur le baron, voulez-vous vous approcher, je vous prie ? »

L’aide de camp s’avança vers lui, et Pakline profita de