Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/353

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osât se comparer à Néjdanof ; mais elle se dit : « Bah ! qu’il se vante, qu’importe ! »

En réalité, il ne se vantait pas du tout, il croyait plutôt se rabaisser par cette comparaison.

« J’ai reçu la visite d’un certain Siline, continua Pakline ; Néjdanof lui avait aussi écrit avant de mourir. Le Siline en question me demanda si on ne pourrait pas trouver quelques papiers qu’aurait laissés le défunt. Mais les effets d’Alexis avaient été mis sous les scellés, et ses papiers n’existaient plus ; il avait tout brûlé, et ses poésies aussi. Vous ne saviez peut-être pas qu’il faisait des vers ? Je les regrette. Je suis sûr que, dans le nombre, il devait y en avoir de pas mal. Tout ça a disparu en même temps que lui, tout ça est tombé dans le tourbillon commun, et pour toujours. Il n’en reste que le souvenir chez quelques amis, qui eux-mêmes disparaîtront à leur tour. »

Pakline s’interrompit un moment.

« En revanche, les Sipiaguine, reprit-il, vous vous rappelez, ces gros bonnets si condescendants, si majestueux et si antipathiques, eh bien, à l’heure qu’il est, ils sont au faîte de la puissance et de la renommée ! »

Machourina ne « se rappelait » nullement les Sipiaguine ; mais Pakline les détestait si cordialement tous deux, le mari surtout, qu’il ne pouvait se refuser la satisfaction de les dauber.

« Il paraît que leur maison est d’un ton ! On n’y parle que de vertu ! Mais c’est une chose que j’ai remarquée : les maisons où l’on parle trop de vertu sont comme les chambres de malades où on a brûlé des parfums : on peut être sûr qu’il vient de s’y passer quelque chose de pas propre ! Un si fort parfum de vertu, c’est suspect ! Ce sont eux, ces Sipiaguine, qui ont perdu ce pauvre Néjdanof.

— Qu’est devenu Solomine ? » demanda Machourina.

Elle éprouvait un désagrément subit à entendre « celui-ci » parler de « celui-là. »

«