Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/37

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— Ce n’est pas cela que je voulais dire… commença Pakline.

— Il ne veut pas rester dans la même chambre qu’un aristocrate, — continua Néjdanof en haussant le ton ; — eh bien ! justement je le loue pour cela ! Et surtout, il sait se sacrifier, et si cela est nécessaire, il ira au-devant de la mort, ce que ni toi, ni moi, ne ferons jamais ! »

Pakline fit une piteuse grimace et montra ses petites jambes torses.

« Comment pourrais-je aller me battre, mon cher ami, dis-moi ?… Mais laissons tout cela… Je te répète que je suis heureux de ton rapprochement avec M. Sipiaguine, et que je vois même d’avance là-dedans un grand profit pour notre œuvre. Tu vas te trouver dans le grand monde ; tu verras ces lionnes, ces femmes au corps de velours sur des ressorts d’acier, comme disent les Lettres sur l’Espagne ; étudie-les, mon ami, étudie-les ! Si tu étais un épicurien, j’aurais peur pour toi… vrai ! Mais ce n’est pas pour cela, n’est-il pas vrai, que tu as cherché une place ?

— J’ai cherché une place pour ne pas crever de faim ! répliqua Néjdanof, « et pour me débarrasser de vous tous pendant quelque temps », ajouta-t-il mentalement.

— Naturellement, naturellement ! C’est pourquoi je te répète : observe, étudie !… Quel parfum il a laissé après lui pourtant, ce monsieur ! — Pakline leva le nez pour humer l’air. — C’est justement le parfum ambré dont rêvait la femme du maire dans le Revisor[1].

— Il a interrogé le prince G… sur mon compte, dit d’une voix sourde Néjdanof, qui était retourné devant la fenêtre ; probablement, à l’heure qu’il est, toute mon histoire lui est connue.

— Non pas probablement, mais certainement. Qu’est-ce

  1. Revisor, c’est-à-dire l'Inspecteur en tournée, comédie de Nicolas Gogol.