Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/70

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dans un tout petit livre relié en velours cramoisi ; ce livre intrigua quelques vieux paysans, et même l’un d’eux, ne pouvant y tenir, demanda à son voisin :

« Dieu me pardonne, est-ce qu’elle ne se dit pas la bonne aventure ? »

Le parfum des fleurs dont l’église était pleine se mêlait aux émanations énergiques des sarraux récemment passés au soufre, des bottes goudronnées et des chaussures de paysannes, et par-dessus tout montait l’odeur de l’encens, agréable, mais un peu étouffante. Les sous-diacres et les sacristains chantaient en chœur avec de louables efforts, grâce à l’aide des ouvriers de la fabrique qu’on leur avait adjoints ; ils essayèrent même un concert ! Il y eut un moment où tous les assistants éprouvèrent une impression tant soit peu pénible. Une voix de ténor (elle appartenait à l’ouvrier Klime, homme rachitique et souffreteux) se lança toute seule, sans être soutenue le moins du monde, dans des gammes chromatiques et mineures ; ces gammes furent terribles ; mais si elles s’étaient arrêtées, tout le concert se serait effondré ! Enfin la chose passa sans trop d’accidents. Le père Cyprien, prêtre de l’extérieur le plus digne, revêtu de l’épigonate et de la mitre d’honneur, prêcha un sermon extrêmement instructif, qu’il lut sur un petit cahier ; par malheur, le trop consciencieux père jugea indispensable de citer les noms de certains rois d’Assyrie, qui le gênèrent beaucoup pour la prononciation, et, s’il fit preuve d’érudition, en revanche il se mit horriblement en nage.

Néjdanof, qui depuis longtemps n’avait mis le pied dans une église, s’était réfugié dans un coin, parmi les paysannes ; elles ne le regardaient guère, occupées qu’elles étaient à faire de grands signes de croix, des inclinations jusqu’à mi-corps et à moucher soigneusement les nez de leurs enfants ; mais les petites paysannes, vêtues de sarraux neufs, avec leurs pendants de verroterie sur le front, et les petits garçons en chemises retenues à