Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/81

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lèves ce que voulait dire caméléopard, et comme personne ne pouvait répondre à sa question, pas même le maître d’école, il avait posé une seconde question : « Qu’est-ce qu’un babouin ? » en ayant soin de citer le vers de Khemnitser :


L’imbécile babouin portraitiste des fauves.


Et personne non plus n’avait pu répondre. — Et voilà conclut-il, à quoi servent vos écoles populaires !

— Mais permettez, fit observer Mme Sipiaguine, je ne sais pas moi-même ce que c’est que ces bêtes-là !

— Oh ! madame, s’écria Kalloméïtsef, vous n’avez nullement besoin de savoir ces choses !

— Et pourquoi donc le peuple en a-t-il besoin ?

— Parce qu’il ferait mieux de connaître un babouin ou un caméléopard, qu’un Proudhon ou un Adam Smith quelconque. »

Mais ici de nouveau Sipiaguine remit Kalloméïtsef à sa place, en déclarant qu’Adam Smith était une des lumières de l’esprit humain, que l’on devrait sucer ses principes… (il se versa un verre de Château-d’Yquem) avec le lait… (il approcha le verre de son nez et le flaira) maternel !

Il vida son verre. Kalloméïtsef en fit autant et jura ses grands dieux que le vin était exquis.

Markelof ne prêtait pas grande attention aux élucubrations du gentilhomme de la chambre, mais à deux reprises, il regarda Néjdanof d’un air tout singulier, et une boulette de pain qu’il avait lancée au plafond faillit tomber droit sur le nez de l’orateur.

Sipiaguine s’occupait peu de son beau-frère ; Mme Sipiaguine non plus ne causait pas avec lui ; tous les deux évidemment considéraient Markelof comme un original qu’il fallait éviter d’agacer.

Après le dîner, Markelof alla fumer sa pipe dans la salle de billard ; Néjdanof retourna dans sa chambre.