Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/92

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bientôt se réaliser ; qu’ils avaient quitté Pétersbourg une semaine auparavant ; qu’Ostrodoumof resterait dans le gouvernement de S… pour la propagande, et que Machourina irait à K… pour avoir une entrevue avec un affilié.

Markelof s’exalta tout d’un coup, bien que personne ne le contredît : — les yeux enflammés, se mordant les moustaches, il se mit à pérorer d’une voix émue et sourde, mais distincte, sur les infamies qui s’accomplissaient de toutes parts, sur la nécessité d’une action immédiate ; il affirma qu’en réalité tout était prêt, que le moindre retard serait de la lâcheté ; qu’un recours à la force était indispensable, comme un coup de bistouri dans un abcès tout à fait mûr ! Il répéta plusieurs fois cette comparaison du bistouri ; elle lui plaisait évidemment ; — il ne l’avait pas inventée ; il l’avait lue quelque part. — N’ayant plus l’espoir de voir ses sentiments partagés par Marianne, il semblait n’avoir plus rien à épargner, et ne songeait qu’à hâter le plus possible le moment d’aborder l’œuvre.

Il parlait comme à coups de hache, sans aucun biais, allant droit au but avec une sorte de colère. Pesantes et monotones, les paroles sortaient une à une de ses lèvres pâlies, semblables à l’aboiement rauque d’un chien de cour, vieux et vigilant.

Il déclara qu’il connaissait parfaitement les paysans et les ouvriers de fabrique des environs, et que parmi eux se trouvaient des gens solides, — par exemple Érémeï, du village de Galapliok, — qui seraient prêts à tout sur-le-champ. Cet Érémeï de Galapliok revenait constamment sur ses lèvres. À chaque bout de phrase, il frappait sur la table, non pas avec le plat, mais avec le tranchant de la main droite, en même temps qu’il poussait devant lui l’index de la main gauche.

Ces mains osseuses et velues, ce doigt levé, cette voix creuse, ces yeux en feu produisaient une forte impression. Pendant le trajet, Markelof n’avait guère causé