Markelof sourit d’un air significatif.
« C’est un homme… dit-il, oh ! un homme !… Je dois dire que je ne le connais pas beaucoup, ne l’ayant rencontré que deux fois ; mais quelles lettres il écrit ! quelles lettres ! Je vous les montrerai… Elles sont étonnantes ! Du feu, quoi ! Et quelle activité ! Il a parcouru la Russie de long en large au moins cinq ou six fois… et à chaque station, c’est une lettre de dix, de vingt pages ! »
Néjdanof jeta un coup d’œil interrogateur du côté d’Ostrodoumof ; mais celui-ci ne bronchait pas plus qu’une statue. Machourina, dont les lèvres étaient contractées par un sourire amer, ne bougeait pas davantage.
Néjdanof voulut interroger Markelof sur le plan de réorganisation sociale que celui-ci avait eu l’idée de réaliser dans son domaine. Mais ici il fut interrompu par Ostrodoumof.
« À quoi bon parler de cela à présent ? De façon ou d’autre, il faudra tout refaire après ! »
La conversation revint sur le terrain politique. Le ver intérieur qui rongeait secrètement Néjdanof continuait sa besogne, et plus il rongeait, plus les discours de Néjdanof devenaient énergiques et même impitoyables. Il n’avait pris qu’un verre de bière, et pourtant il lui semblait par moment qu’il était tout à fait ivre. La tête lui tournait ; son cœur s’étirait à coups lents et douloureux. Et lorsqu’enfin, vers quatre heures, la discussion ayant pris fin, les interlocuteurs se furent dispersés, — en évitant de heurter le petit domestique endormi dans l’antichambre, — Néjdanof, avant de se mettre au lit, resta longtemps immobile, debout, les yeux obstinément fixés devant lui sur le plancher. Il entendait toujours résonner à ses oreilles ce son constamment amer qui traversait toutes les paroles de Markelof ; évidemment, cet homme avait été blessé dans son amour-propre par le refus de Marianne ; il ne pouvait pas ne pas en souffrir ; ses espérances de bonheur étaient