anéanties, et pourtant comme il s’oubliait lui-même ! comme il se donnait tout entier à ce qu’il croyait être la vérité ! « C’est un esprit borné, pensait Néjdanof ; mais ne vaut-il pas cent fois mieux être un esprit borné comme celui-là, que d’être… que d’être, par exemple, ce que je me sens être dans ce moment ? »
Ici il eut un mouvement de révolte contre sa propre dépréciation de lui-même :
« Mais quoi ? Est-ce que, par hasard, je ne sais pas me sacrifier, moi aussi ? Un peu de patience, messieurs… Et toi, Pakline, tu verras un jour ce qu’un amateur d’esthétique et un faiseur de vers… »
Il rejeta ses cheveux en arrière avec colère, grinça des dents, et, dépouillant à la hâte ses vêtements, se jeta dans son lit humide et froid.
« Bonne nuit ! dit derrière la porte la voix de Machourina. Je suis votre voisine.
— Bonne nuit ! » répondit Néjdanof.
Il se souvint, en ce moment, que Machourina ne l’avait pas quitté des yeux pendant toute la soirée.
« Qu’est-ce qu’elle veut ? » murmura-t-il intérieurement. Puis il eut comme un mouvement de honte. « Allons ! allons ! il faut dormir. »
Mais ses nerfs ne lui obéirent pas… et le soleil était déjà assez haut dans le ciel, quand il finit par s’endormir d’un sommeil lourd et pénible.
Il se réveilla tard dans la matinée, avec un grand mal de tête. Il s’habilla, regarda par la fenêtre de sa chambre et constata que Markelof n’avait pas d’établissement proprement dit. Sa maisonnette était un bâtiment isolé, non loin d’un bouquet de bois. À droite, une petite grange, une écurie, une cave couverte, une isba au toit de chaume à moitié effondré ; à gauche, un étang minuscule, un petit jardin potager, une chènevière et une seconde isba en aussi mauvais état que l’autre ; plus loin, un four à chauffer le grain, une petite aire à battre le blé, et un enclos pour mettre les meules, — absolu-