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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/126

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Je m’approchai, et j’aperçus non pas son visage, mais sa tête, car il pressait des paumes de ses deux mains ses cheveux souillés de boue. Il respirait bruyamment, convulsivement ; on eût dit que quelque chose bouillait dans sa poitrine. Tout ce que je pus distinguer dans cette masse immonde, ce fut le blanc de ses petits yeux qu’il roulait avec un effarement sinistre. Il était effrayant.

Je me rappelai le voisin qui l’avait traité de mastodonte. En effet, un tel aspect devait avoir quelque monstre antédiluvien, à peine échappé des griffes d’un autre monstre encore plus puissant, qui l’aurait attaqué dans la vase profonde des marais de l’âge primitif.

« Martin Petrovitch ! s’écria enfin ma mère en frappant dans ses mains ; est-ce bien toi ? Dieu de miséricorde !

— Moi, moi, répondit une voix brisée qui semblait accentuer chaque mot avec un effort douloureux, oui, moi.

— Que t’est-il arrivé ? bon Dieu !

— Nata… lia Nicolav… na… j’ai couru jusqu’ici de la maison… à pied…

— Par un tel temps ! Mais tu ne ressembles pas à un être humain ! Lève-toi, prends un siége. Et vous, dit-elle aux femmes de chambre, apportez vite des serviettes. N’y aurait-il pas quelque habillement ici ? demanda-t-elle au maître d’hôtel. »

Celui-ci leva les mains au ciel, comme pour dire : « Où trouver un vêtement à cette taille ? » — Du reste,