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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/130

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informer, est-ce qu’il leur reste encore quelque volonté ? Des esclaves de Volodka, voilà ce qu’elles sont.

Ma mère fit un geste d’étonnement.

— Je comprends cela d’Anna, dit-elle, Anna est sa femme ; mais ta seconde fille.

— Evlampia ? Pire que l’autre… corps et âme, elle s’est donnée à Volodka ; c’est pour cela qu’elle a refusé votre militaire. Volodka le lui a ordonné. Anna !… sans doute, elle devrait s’offenser… d’autant plus qu’elle ne peut souffrir sa sœur. Pourtant elle se soumet ; il l’a ensorcelée, elle aussi, le maudit. Et puis, voyez-vous, il est agréable à Anna de penser : « Étais-tu assez orgueilleuse, Evlampia ? Eh bien ! qu’es-tu devenue ?… » Oh ! mon Dieu, je n’en puis plus… je n’en puis plus !

Ma mère regarda de mon côté avec une certaine inquiétude. Je me retirai un peu, craignant qu’on ne me renvoyât.

— Je regrette fort, Martin Pétrovitch, dit-elle, que mon ci-devant pupille t’ait causé tant de chagrin, et soit devenu un si méchant homme. Moi aussi je me suis trompée. Comment pouvais-je m’attendre à cela de sa part ? »

Kharlof poussa un profond gémissement, et se frappa la poitrine de ses poings fermés.

— Madame, je ne puis supporter l’ingratitude de mes filles ; je ne le puis pas. Ne leur ai-je pas tout donné ? et de quel droit ? Ma conscience ne me laissait pas un moment de trêve. Oh ! que n’ai-je pas pensé, là, sur le bord de l’étang, en ayant l’air de pêcher du