Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/129

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moi…, et je ne disais mot. Et je ne disais mot… encore à cause de mon orgueil, pour que mes cruels ennemis ne pussent pas dire : « Voyez-vous le vieil imbécile, il se repent maintenant. » Et vous-même, madame, vous m’en aviez averti ; vous m’aviez dit : « Tu ne pourras plus mordre ton coude… » Voilà pourquoi je ne disais mot. Aujourd’hui, j’entre dans ma pauvre chambre ; elle est occupée. On a jeté mon lit dans un galetas. « Tu peux dormir là tout aussi bien ; on te tolère par grâce, et nous avons besoin de ta chambre pour notre ménage. » Et qui me dit cela ? Qui ? un Volodka Slotkine, un vil roturier, un misé… Sa voix se brisa.

— Mais tes filles, qu’ont-elles dit ? demanda ma mère.

— Je m’étais soumis, je ne disais mot, reprit Kharlof sans écouter la question ; et pourtant quelle amertume ! quelle honte ! je rougissais de regarder la lumière de Dieu. C’est pour cela que je n’ai pas voulu venir chez vous, ma mère. J’ai tout essayé, et les caresses, et les menaces. Je leur ai fait des reproches… et, pour tout dire, je les ai salués… tout bas… comme cela… — Kharlof montra comment il les avait salués, — et tout en vain ! Dans les premiers temps, je me disais : « Casse tout, brise tout… » pour qu’on sache qui je suis, moi… Mais plus tard, je me suis soumis. C’est une croix, me dis-je, qui m’est envoyée. — Il faut se préparer à la mort. — Et tout à coup, aujourd’hui… comme un chien !… Et qui ? Volodka !… Quant à mes filles, dont vous daignez vous