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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/143

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Si je lui tire un coup de fusil, je ne serai pas responsable devant la loi, car, enfin, chacun a le droit de défendre sa propriété. Je vais tirer, devant Dieu, je vais tirer.

Il s’élança vers la maison.

« Martin Petrovitch, si vous ne descendez pas, je tire.

— Tire, répondit sur le toit une voix terrible ; tire ! En attendant, voici un cadeau que je te fais. »

Une longue planche vola dans l’air, tournoya deux fois, et vint tomber lourdement aux pieds même de Slotkine. Celui ci fit un saut en arrière, Kharlof partit d’un éclat de rire.

« Seigneur Jésus ! » murmura quelqu’un derrière moi.

Je me retournai, c’était Souvenir.

« Ah ! ah ! me dis-je, tu cesses enfin de ricaner. »

Slotkine empoigna un paysan par le collet de sa casaque.

« Grimpe donc ! hurlait-il en le secouant de toutes ses forces ; grimpez tous, sauvez mon bien. »

Le paysan avança de deux pas, renversa la tête, agita ses mains : « Eh, là-haut ! monsieur… » puis il fit volte-face et disparut.

« Une échelle, apportez-moi une échelle ! cria Slotkine aux autres paysans.

— Où la prendre ? répondit-on du groupe.

— Et quand même il y aurait une échelle, dit une voix lente, qui diable s’aviserait d’y grimper ?