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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/142

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violent qui s’était élevé faisait tourbillonner ses haillons et ses cheveux. C’était horrible à voir, son corps nu et rouge qui se montrait par place à travers les déchirures ; c’était horrible à entendre, son grognement rauque et sauvage. Une foule de monde remplissait la cour ; des paysannes, des gens de service, des enfants se pressaient le long des haies. Une vingtaine de paysans s’étaient rassemblés en groupe, à quelque distance. Le vieux prêtre, que je connaissais déjà, se tenait sans chapeau sur le perron de l’autre maisonnette ; de temps en temps il soulevait des deux mains un vieux crucifix de cuivre, et semblait le montrer à Kharlof, en silence et sans espoir. Près de lui, le dos appuyé contre le mur et les bras croisés sur la poitrine, Evlampia regardait son père avec une sombre attention. Pour Anna, tantôt elle passait la tête hors de la fenêtre, tantôt elle bondissait dans la cour, puis rentrait dans la maison. Pâle, blême, vêtu d’une vieille robe de chambre, avec une calotte sur la tête, et tenant à la main son fusil à un coup, Slotkine piétinait la terre. Il était haletant, il menaçait, il grelotait, il couchait Kharlof en joue, et rejetait son fusil sur son épaule, puis le visait de nouveau, criait, pleurait ; il avait bien cette fois l’air d’un juif, comme disait ma mère. Dès qu’il nous aperçut, Souvenir et moi, il courut à notre rencontre.

« Voyez, voyez ce qu’il nous arrive, dit-il d’une voix larmoyante ; il est devenu fou, entièrement fou. Regardez ce qu’il fait. J’ai déjà envoyé chercher la police ; mais personne ne vient, personne ne vient.