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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/146

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Il cracha dans la paume de ses deux mains et saisit de nouveau une poutre.

« Finis, père, reprit Evlampia. — Sa voix était devenue étrangement caressante. — Ne te souviens pas du passé. Crois-moi, tu m’as toujours crue. Descends, viens dans ma petite chambre, viens sur mon lit ; je te sécherai, je te réchaufferai ; je panserai tes plaies. Vois comme tu as déchiré tes pauvres mains. Tu vivras chez moi comme dans le giron du Christ. Tu mangeras des chatteries bien douces, et tu dormiras encore plus doucement. Oui, oui, nous avons été coupables. Allons, pardonne. »

Kharlof hocha la tête.

« Sornettes ! Je vais vous croire, n’est-ce pas ? Vous avez tué en moi la croyance, vous avez tout tué. J’étais un aigle, je me suis fait pour vous vermisseau…, et vous avez mis le talon sur le vermisseau. Je t’aimais, tu le sais, et combien ! Maintenant, tu n’es plus ma fille, et je ne suis plus ton père. Je suis un homme perdu. Et toi, tire donc, lâche ! s’écria-t-il tout à coup en s’adressant à Slotkine. Pourquoi ne fais-tu que me viser ? Tu te rappelles sans doute la loi : « Si le donataire attente à la vie du donateur, celui-ci a le droit de reprendre ce qu’il a donné. » Ah ! ah !… n’aie pas peur, grand légiste, je ne demanderai rien ; je réglerai tout moi-même… Allons, tire donc !

— Père ! cria Evlampia d’une voix suppliante.

— Tais-toi !