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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/154

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quée le jour de la mort, je la retrouvais sur tous les visages, dans les mouvements et les regards des assistants. Seulement cette réprobation était devenue, non pas moins forte, mais plus froide et comme indifférente. On eût dit que tous ces gens savaient que le grand péché dont la famille de Kharlof s’était rendue coupable envers lui était maintenant porté devant le seul vrai juge, et qu’eux n’avaient plus besoin ni de s’inquiéter ni de s’indigner. Tous prièrent avec ferveur pour l’âme du défunt, de ce défunt qu’ils avaient peu aimé durant sa vie, que même ils avaient craint, tant la mort avait fait une entrée brusque et imprévue.

« Si, du moins, il avait aimé à boire, disait sur le perron un paysan à un autre.

— Eh ! il arrive aussi qu’on s’enivre sans boire.

— Oui, il y a eu injustice, reprit le premier, répétant ce mot décisif.

— Injustice ! murmurèrent tous autour de lui.

— Pourtant il a été dur pour vous, fis-je observer à un autre paysan dans lequel je reconnus un des serfs de Kharlof.

— C’était son affaire de seigneur, répondit le paysan ; ça ne change rien à l’injustice qu’on lui a faite. »

Devant la fosse ouverte, Evlampia trahissait la même absence d’esprit, elle semblait obsédée de la même rêverie morne. Je remarquai qu’elle traitait Slotkine, qui plusieurs fois tenta de lui adresser la