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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/155

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parole, comme elle avait traité Gitkof, et plus mal encore.

Quelques jours après, le bruit se répandit qu’Evlampia Martinovna avait quitté pour toujours la maison paternelle, et sans dire où elle allait. Elle avait abandonné à sa sœur toute la part de fortune qui lui revenait, se bornant à emporter quelques centaines de roubles.

« Elle a racheté son mari, la bonne Anna ! » s’écria ma mère en apprenant cette nouvelle. Puis, s’adressant à Gitkof, qui avait remplacé Souvenir pour lui faire la partie de piquet : « Il n’y a que toi qui as les mains malhabiles, des mains qui ne savent ni prendre ni garder. »

Gitkof poussa un soupir en regardant ses larges mains étalées sur la table.

Peu de temps après, ma mère et moi nous allâmes nous établir à Moscou, et bien des années s’écoulèrent avant que j’eusse l’occasion de revoir les filles de Kharlof.

Ce fut de la façon la plus naturelle que je rencontrai d’abord Anna Martinovna. Comme je visitais, après la mort de ma mère, notre village, où je n’avais pas mis le pied depuis plus de quinze ans, je reçus du juge de paix l’invitation de me rendre, en consultation avec d’autres propriétaires du voisinage, chez la veuve Anna Slotkine. C’était à l’époque où s’accomplissait, avec une lenteur qu’on n’a pas encore oubliée, le partage des terres seigneuriales communes. La nouvelle de la mort du petit juif aux