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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/159

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homme n’avait-il pas été, et que n’avait-il pas été ? Rien ne pouvait le surprendre ; cependant il n’aimait que deux choses, la chasse et l’eau-de-vie. Voilà qu’un jour, revenant à Mourino, nous eûmes à passer devant une maison isolée, située près d’un carrefour et entourée d’une palissade haute et serrée. Ce n’était pas la première fois que je voyais cette maison ; elle avait je ne sais quoi de mystérieux, de verrouillé, de muet, qui faisait penser à une prison ou à un hôpital. De la route, on ne pouvait distinguer que le toit à angle aigu, peint d’une couleur sombre. Dans toute la palissade existait une seule porte, et cette porte elle-même semblait barricadée. Jamais aucun bruit ne s’y faisait entendre, et pourtant la maison n’était pas abandonnée ; on reconnaissait qu’elle était habitée par quelqu’un. Au reste, elle aurait pu soutenir un siége, tant elle était solidement bâtie et puissamment protégée.

« Qu’est-ce que cette forteresse ? » demandai-je une fois à mon camarade de chasse.

Vikoulof cligna de l’œil d’un air malin.

« Hein ! quel étrange bâtiment ? Il rapporte gros à l’ispravnik du district.

— Comment cela ?

— Avez-vous jamais entendu parler des Raskolnik (vieux croyants), de ceux nommés Khlisti, qui vivent sans prêtres ?

— Certainement.

— Eh bien ! c’est ici qu’habite leur principal chef, leur mère.