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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/160

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— Une femme ?

— Oui, une mère. Ils appellent cela une Sainte Vierge mère de Dieu. On dit que celle-ci est bien sévère, un vrai général. Elle vous remue des milliers de roubles. Ah ! si c’était en mon pouvoir, je pendrais toutes ces Saintes Vierges. Mais à quoi bon ? »

Les paroles de Vikoulof me restèrent dans l’esprit. Souvent, depuis lors, je me détournais de ma route, tout exprès pour revoir la maison mystérieuse. Un jour que j’arrivais devant son unique porte, j’entendis, ô miracle ! tirer le verrou de bois ; la clef grinça dans la serrure, la porte s’ouvrit lentement, une puissante tête de cheval à la crinière tressée parut sous une douga bariolée, et une légère téléga, comme celles des riches marchands, sortit de la cour et gagna la route. Sur le coussin en cuir, de mon côté, était assis un homme d’une trentaine d’années, d’un visage remarquablement beau et régulier. Il était vêtu d’un caftan noir, très-propre, et portait un bonnet, noir aussi, qui lui couvrait le front jusqu’aux yeux. Avec un maintien grave, il tenait les rênes du puissant animal qui traînait la téléga. À son côté était assise une femme de haute taille, droite comme une lance. Un riche châle noir lui couvrait la tête. Elle était vêtue d’une courte pelisse en velours olive et d’un jupon en laine bleue. Ses deux mains blanches, gravement croisées sur sa poitrine, se soutenaient l’une l’autre. La téléga tourna brusquement, de sorte que la femme se trouva tout