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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/171

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contres, aux jours heureux ou malheureux, à la persécution ou à la protection de la destinée, à l’importance de la vie, en un mot. Il croyait même à certaines années « climatériques » dont quelqu’un avait parlé devant lui ; mais sans rien comprendre à ce que ce mot voulait dire. Les gens « fatals » véritables, pur sang, ne croient pas devoir professer de pareilles croyances ; leur affaire est de les inspirer aux autres… Mais de ce côté moi seul connaissais Téglew.

V

Un jour, je m’en souviens, c’était le jour de la Saint-Élie, le 20 juillet, j’allai voir mon frère, et je ne le trouvai pas. On l’avait envoyé quelque part pour toute la semaine, affaire de service. N’ayant pas envie de retourner à Pétersbourg, je flânai avec mon fusil dans les marécages environnants, je tuai une couple de bécassines, et je passai la soirée avec Téglew sous l’auvent d’une grange où il avait établi, suivant son expression, sa résidence d’été. Nous babillâmes à tort et à travers, prenant du thé, fumant nos pipes, et causant tantôt avec le propriétaire, Finnois russifié, tantôt avec un colporteur qui rôdait autour de la batterie, et qui vendait « des oranges et de beaux citrons » ; cet homme aimable et badin possédait, entre autres talents, celui de jouer de la guitare ; il nous raconta un amour malheureux qu’au temps jadis il avait éprouvé pour la fille d’un sergent de ville. Dans un âge plus mûr, ce don Juan