Aller au contenu

Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/172

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

en chemise rouge n’avait plus connu de passion malheureuse. Devant la porte de notre grange s’étendait une large plaine qui s’abaissait peu à peu. Une petite rivière aux bords encaissés brillait par places. Plus loin, l’horizon était bordé d’une bande étroite de forêts. La nuit approchait ; nous étions seuls. Avec la nuit, la terre s’enveloppa d’une vapeur légère et humide qui, s’étendant de plus en plus, finit par se convertir en un épais brouillard. La lune monta au ciel. Tout le brouillard fut pénétré et comme doré par sa lueur. Tout semblait changé de place, confondu et embrouillé d’une façon étrange : ce qui était loin paraissait près, ce qui était près paraissait loin ; ce qui était grand semblait petit, ce qui était petit devenait grand… Tous les objets étaient à la fois clairs et confus. Nous étions tout bonnement transportés dans un royaume des contes de fées, dans le royaume du brouillard blanc doré, de la tranquillité profonde, du sommeil rêveur et léger… Et comme les étoiles brillaient mystérieusement là-haut, avec leurs étincelles d’argent, à travers ce grand voile blanc ! Nous nous taisions tous deux. L’aspect fantastique de cette nuit agissait sur nous et nous disposait au merveilleux.

VI

Téglew prit le premier la parole, et, avec ses hésitations, ses interruptions et ses répétitions ordi-