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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/191

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Téglew, les bras ballants, la tête nue, pâle, mais les yeux animés et plus grands qu’à l’ordinaire. Il respirait longuement et fortement à travers ses lèvres entr’ouvertes.

« Dieu soit loué ! » m’écriai-je dans l’élan de ma joie ; et je le saisis par les deux mains, Dieu soit loué ! Je désespérais déjà de vous trouver ; n’avez-vous pas honte de me causer de telles frayeurs ? Pensez donc, Élie Stépanitch…

— Que voulez-vous de moi ? répéta Téglew.

— Je veux… je veux d’abord que nous retournions ensemble à la maison ; ensuite, je veux, j’exige de vous comme d’un ami que vous m’expliquiez à l’instant ce que signifie votre… votre conduite, et cette lettre au colonel ! Vous est-il arrivé à Pétersbourg quelque chose d’inattendu ?

— À Pétersbourg, j’ai trouvé justement ce que j’attendais, répondit Téglew, toujours sans bouger.

— C’est… vous voulez dire que… votre amie, Marie…

— Elle s’est tuée, répondit Téglew rapidement et d’un air presque méchant ; on l’a enterrée avant-hier. Elle ne m’a pas même laissé un mot. Elle s’est empoisonnée. »

Téglew prononça ces mots effrayants avec une sorte de hâte et sans faire un mouvement.

Je joignis les mains.

« Est-ce possible ! Quel malheur ! Votre pressentiment s’est accompli… C’est horrible ! »

Tout troublé, je me tus. Téglew croisa les bras