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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/190

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commençait la plaine déserte, parsemée de rares buissons. Au bout de la plaine, à quatre verstes du village, se trouvait un bouquet de bouleaux traversé par la rivière qui, un peu plus bas, entourait le village. Je savais fort bien tout cela pour l’avoir vu souvent de jour ; maintenant je ne distinguais rien, et c’est seulement par la densité et la blancheur plus sensible du brouillard que je pouvais deviner l’endroit où s’abaissait le sol et où passait la rivière. La lune faisait dans le ciel une tache pâle ; mais sa lueur n’avait pas, comme la nuit précédente, la force de percer l’épaisseur vaporeuse du brouillard ; il restait suspendu au-dessus, comme un large rideau mat. J’entrai dans le champ, j’écoutai : aucun bruit nulle part. Les courlis seuls sifflotaient de temps en temps.

« Téglew ! criai-je, Élie Stépanitch ! Téglew ! »

Ma voix mourut autour de moi sans écho, comme si le brouillard l’avait empêchée de s’étendre.

— « Téglew ! » répétai-je.

Personne ne répondit.

Je m’avançai à tout hasard. Deux fois je me heurtai contre une haie ; une autre fois je manquai de tomber dans un fossé. Je faillis trébucher contre un cheval de paysan étendu sur le sol.

« Téglew ! Téglew ! » criai-je.

Tout à coup derrière moi, à très-peu de distance, j’entendis une voix assez faible.

« Me voilà… que voulez-vous de moi ? »

Je me retournai brusquement… Je vis devant moi