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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/208

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L’Abandonnée.

nie de parfumer ses appartements. Lorsqu’on voulait procéder à cette opération, l’une des dames de compagnie courait dans l’antichambre, et quelques minutes après, paraissait un vieux domestique en livrée. D’une main, il tenait une cuvette en cuivre, qui contenait une brique chauffée à blanc, avec un petit bouquet de menthe posé par-dessus ; de l’autre, il brandissait un flacon de vinaigre. Il se promenait rapidement sur l’étroit passage natté et aspergeait de vinaigre la pierre brûlante. Chaque fois que la vapeur blanchâtre, s’élevant en spirales, effleurait sa face ridée, il grimaçait et se détournait, tandis que les serins de la salle à manger, comme pour rivaliser avec le pétillement de la brique, redoublaient leur strident ramage.

Ma tante m’adorait et me gâtait : n’étais-je pas orphelin de père et de mère ? Elle m’avait cédé tout l’étage supérieur de la maison. Mon mobilier, remarquable par son élégance, ne rappelait en rien le garni d’étudiant : il y avait même des rideaux roses aux fenêtres de ma chambre à coucher ; du baldaquin de mon lit, qu’ornaient des pompons bleus de ciel, la mousseline blanche tombait à flots. Ce luxe, je dois en convenir, m’inquiétait quelque peu : de pareilles dorloteries ne pouvaient, selon moi, que me nuire dans l’esprit de mes camarades. Ils m’avaient déjà donné un sobriquet, « la petite demoiselle », parce qu’il m’était absolument impossible de m’habituer au métier de fumeur. Je n’en ferai pas mystère : je n’étudiais que très-modérément, surtout au début