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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/233

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L’Abandonnée.

« Vous ne savez donc pas ? C’est la pension de Susanne Ivanowna… Oui, oui, elle en touche une. Oh ! l’histoire vaut son pesant d’or, je vous jure. Je vous la raconterai, si l’occasion s’en présente ; mais maintenant je suis pressé. Quant à mon vieux, je vous en prie, n’oubliez pas mon vieux. Il a la peau dure, sans doute, une vraie peau allemande tannée en Russie, mais vous l’amollirez… vous l’amènerez à des sentiments raisonnables. Prenez garde seulement que la Léonore, ma belle-mère, n’y soit pas. Le vieux a peur d’elle, et elle veut tout pour ses poussins. Enfin, vous n’êtes pas novice en diplomatie ? Portez-vous bien !

— Quel odieux garçon ! » cria Fustow dès que la porte se fut refermée. Son visage était comme brûlant ; il évita mon regard. Je renonçai à le questionner, et pris bientôt congé de lui.

XII

Pendant tout le jour, mes pensées restèrent avec Fustow, avec Susanne et ses parents : je devinais un drame de famille qui se cachait là derrière. Mon ami, à ce que je pouvais voir, n’était pas indifférent envers Susanne. Mais elle ? l’aimait-elle ? Pourquoi paraissait-elle si malheureuse ? Quelle créature était-ce d’ailleurs ? Ces questions me revenaient sans cesse à l’esprit. Un pressentiment puissant, quoique vague, me disait que je ne devais attendre aucune réponse de Fustow. Enfin, après avoir bien réfléchi,