je résolus d’aller seul chez M. Ratsch le lendemain.
Lorsque je pénétrai dans l’étroit et sombre vestibule de la maison, une inquiétude subite s’empara de moi. « Peut-être ne la verrai-je point, pensai-je. J’aurai affaire à ce désagréable vétéran, ou pis encore, à son ennuyeuse épouse… Et si même je la voyais, qu’en résulterait-il ? Liera-t-elle conversation ? Elle s’est montrée si peu accueillante l’autre soir… Enfin pourquoi donc suis-je venu ici ? »
Tandis que je me livrais à ces réflexions, le petit Cosaque m’avait annoncé. Après deux ou trois questions où perçait la surprise : « Qui ? qui ? » et : « Qui as-tu nommé ? » on entendit dans la pièce voisine les pas lourds d’une personne traînant de grosses pantoufles ; puis la figure rouge et ébouriffée d’Ivan Demïanitch apparut par la porte entre-bâillée. Il me regarda pendant quelques minutes sans qu’il y eût le moindre changement dans l’expression de sa physionomie : il ne me reconnaissait pas, selon toute apparence ; mais tout à coup ses joues s’épanouirent, ses yeux se contractèrent, sa bouche s’entr’ouvrit toute grande, et, avec son rire habituel, il s’exclama bruyamment :
« Ah ! c’est vous, mon très-honoré ! Entrez donc ! »
Je le suivis avec hésitation et à contre-cœur, car je comprenais bien que ce Ratsch si engageant me donnait intérieurement au diable ; mais impossible de battre en retraite. Il me conduisit au salon ; je vis Susanne installée devant le guéridon, sur lequel se trouvait ouvert le livre des comptes du ménage. Elle