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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/247

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L’Abandonnée.

« Écoutez, Alexandre Davidovitch, et répondez-moi, dit-il. Pourquoi me méprisez-vous ?

— Comment ?… fit mon ami, qui ne trouva pas de réponse immédiate.

— Comment ? Je le sais parfaitement bien : je sais que vous me méprisez, et ce monsieur-là (il m’indiqua du doigt), me méprise aussi ! comme si vous vous distinguiez par une vertu extraordinaire ! Mais non, vous êtes des pécheurs comme nous tous. Oui, et même pires que nous ! Il n’est pire eau… Vous connaissez le proverbe ! »

Fustow rougit jusqu’aux oreilles.

« Que voulez-vous dire ? demanda-t-il.

— Je veux dire que je ne suis pas encore devenu aveugle, et que je vois fort bien ce qui se passe autour de moi ; je comprends votre situation vis-à-vis de ma petite sœur… Je n’ai rien là contre ; peu m’importe ; il n’entre pas dans mes principes de m’opposer à la chose ; du reste, ma petite sœur, Susanne Ivanowna, a déjà goûté de tout… Mais de quel droit me méprisez-vous donc ?

— Vous ne savez pas ce que vous dégoisez : vous êtes ivre, » dit Fustow. Et il décrocha son manteau du mur. « Il a commencé par filouter un serin aux cartes, et le voilà maintenant qui débite des sottises infernales, » continua-t-il à haute voix.

Victor resta étendu sur le divan, se bornant à tambouriner avec ses pieds sur l’appui du meuble.

« Filouter ! Pourquoi donc, alors, avez-vous trouvé bon goût au vin que j’ai payé de mes bénéfices ? Et