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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/253

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L’Abandonnée.

renseigné auprès de ses domestiques à… dans sa maison. Il ne m’avait rien dit de son départ. Je ne l’avais pas vu depuis deux ou trois jours, et, quand j’allai le voir, j’appris qu’il venait de quitter Moscou.

— Vous savez son adresse ? répéta-t-elle. Eh bien ! écrivez-lui donc qu’il m’a tuée. Je vous connais pour un brave jeune homme. Il ne vous aura point parlé de moi, certainement ; mais il m’a parlé de vous. Écrivez-lui… Oh ! écrivez-lui qu’il revienne au plus vite, s’il veut me trouver encore vivante… Mais non ! il ne me trouvera plus vivante ! »

À chaque mot la voix de Susanne devenait plus calme, car elle-même se calmait. Néanmoins, ce calme me parut plus terrible que les sanglots de tout à l’heure.

« Il l’a cru, redit-elle, et elle appuya son menton sur ses mains entrelacées. »

Une rafale subite poussa en sifflant la neige contre les fenêtres et les fit tinter et frémir ; un courant d’air froid traversa la chambre… la flamme des bougies vacilla… Susanne tressaillit.

Je la priai encore de s’asseoir sur le divan.

« Non, non, laissez-moi, répondit-elle, je suis bien ici. Je vous en conjure, laissez-moi. »

Elle se serra contre les vitres glacées, comme si elle eût vu une sorte d’abri dans cette embrasure étroite et froide.

« Je vous prie… laissez-moi.